Nous sommes le 24 avril 2024
   
Les oeuvres... Une journée avec Bruno Piketty...
 



Bruno Piketty Il y a un réveil mais le plus souvent, c’est Ánh-Linh qui donne le signal du lever.
A tâtons, je vais la prendre dans son berceau. Je la change et la passe à Nathalie pour qu’elle prenne le sein.
Quand elle aura fini sa nuit, on ira jouer devant le miroir. Puis on ira se promener. J’aurai l’appareil numérique en bandoulière et le carnet de croquis dans la nacelle.
Je l’emmène au parc, avec toutes les mamans et quelques papas. Je l’emmène aussi voir des expos. J’aime le regard des gens sur elle.
La peinture viendra plus tard.
La peinture est toujours venue plus tard. Peut-être même trop tard.
Après quelques années de travail comme ingénieur. Après quelques années d’apprentissage à apprendre seul, puis auprès d’un peintre qui croyait sincèrement être le premier au monde.

Bruno PikettyCela m’a guéri de ces peintres qui pensent que les autres ne font qu’essuyer leurs pinceaux sur la toile.
Curieux pour quelque chose qui m’amena, il fut un temps, à vivre dans une caravane, au milieu d’un hangar battu par les vents.
Après avoir passé l’hiver dans un atelier où les températures n’atteignaient jamais les 10°C - je ne parle pas des plus basses - j’ai maintenant un atelier propre et bien chauffé.
Le lit d’Ánh-Linh est dans un coin. Quand elle est avec moi, je l’emmène devant le portrait de sa maman. Elle la reconnait, tend les bras et gratte du bout des doigts la surface de la peinture. Cela me fait plaisir, bien sûr, qu’elle la reconnaisse. Ce doit être magique pour elle, comme le jeu devant le miroir. Elle s’habitue doucement à l’atelier, aux bruits. Mais le chat qui miaule dans la cour lui fait toujours peur.
Parfois je sais dès le début ce que je vais faire, mais, le plus souvent, je dois attendre d’avoir évacué toutes les choses que j’ai vues ou entendues, d’avoir balancé les doutes.
Alors seulement je prépare les peintures, broie, étale, prends les pinceaux et commence.
Parfois aussi, je sors dehors pour peindre.

Bruno PikettyLes enfants sont mes critiques les plus sympas. "Y dessine grave bien !", ça fait plaisir.
Il fait nuit. Il y a une personne accoudée à son balcon. Je l’ai surprise à regarder dans l’atelier pendant que je travaillais. Les deux projecteurs accrochés à la poutre déversent 1 kW de lumière crue. On y voit comme en plein jour. Faudra que je mette des rideaux, mais pour l’instant ce regard indiscret ne me gêne pas.
On ne devrait rien avoir à prouver en peinture. Maintenant, je prends des photos et je m’en sers. Avant, pour moi c’était tricher. Tricher avec quoi, je me le demande bien à présent. Le souffle de la peinture, c’est un truc vénéneux. Je peins Paris. Ou plutôt, je peins le trottoir sur lequel je marche, la rue que je remonte, le parc que je traverse, le visage de ma fille.

J’ai toujours du mal à quitter l’atelier. De l’impression que me laisse le dernier regard sur mon travail du jour dépendra mon humeur pour les heures à venir et mon sommeil. Je me dis que je ne dois pas être facile à vivre.

Bruno PikettyJ’éteins. En descendant vers la gare de l’Est, je regarde les gros blocs d’immeuble de l’autre côté des voies. Il y a là des peintures à faire, j’en suis sûr. Je ne sais pas encore comment. Le garage aussi, avec le bandeau rouge sur son toit, les reflets aux fenêtres et la masse de la gare.
Ensuite métro. Nathalie est encore debout. Ánh-Linh dort. On a le temps de causer. Que des petites choses que je sais être si importantes depuis que je la connais. Puis baisers.
Puis dodo.
Mon truc beauté: prendre une cigarette, l’ouvrir et m’en frotter la peau du cou et des joues. Comme ça, je peux sentir la cigarette comme Humphrey Bogart sans avoir à la fumer.

Bruno Piketty



 
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